Les mots, vous les aimez comment?

Sauvages? comme les qualifiait Virginia Woolf 

« Il n’y a rien de plus sauvage, de plus libre, de plus irresponsable, de plus impossible à dresser que les mots. » Virginia Woolf, Le métier.

 

Gras et beurrés, fallacieux et euphémiques, suaves ou hachés, secs, croustillants, grands, élégants et fleuris, qui tournent autour du pot, mutins comme les aimait Robert Pirosh ?

« Je viens de rentrer et j’aime toujours les mots.

Puis-je en échanger quelques-uns avec vous ? »

Lettre de Robert Pirosh, in Au bonheur des lettres, compilation de Shaun Usher.

 

Mystérieux comme un mot ramassé par la petite Bel-Gazou ?

   « Le mot « presbytère » venait de tomber, cette année-là, dans mon oreille sensible, et d’y faire des ravages .

   « c’est certainement le presbytère le plus gai que je connaisse... » avait dit quelqu’un.

   Loin de moi l’idée de demander à l’un de mes parents : « Qu’est-ce que c’est un presbytère ? » J’avais recueilli en moi le mot mystérieux, comme brodé d’un relief rêche en son commencement, achevé en une longue et rêveuse syllabe… Enrichie d’un secret et d’un doute, je dormais avec le mot et je l’emportais sur mon mur. « Presbytère ! » Je le jetais, par-dessus le toit du poulailler et le jardin de Miton, vers l’horizon toujours brumeux de Moutiers. Du haut de mon mur, le mot sonnait en anathème : « Allez ! Vous êtes tous des presbytères ! » criais-je à des bannis invisibles.

   Un peu plus tard, le mot perdit de son venin, et je m’avisai que « presbytère » pouvait bien être le nom scientifique du petit escargot rayé jaune et noir… Une imprudence perdit tout, pendant une de ces minutes où une enfant, si grave, si chimérique qu’elle soit, ressemble passagèrement à l’idée que s’en font les grandes personnes…

   - Maman ! Regarde le joli petit presbytère que j’ai trouvé !

   - Le joli petit… quoi ?

   - Le joli petit presb…

   Je me tus, trop tard. Il me fallut apprendre - « Je me demande si cette enfant a tout son bon sens... » - ce que je tenais tant à ignorer, et appeler « les choses par leur nom... »

   - Un presbytère, voyons, c’est la maison du curé.

   - La maison du curé… Alors M. le curé Millot habite dans un presbytère ?

   - Naturellement… Ferme ta bouche, respire par le nez… Naturellement, voyons…

   J’essayai encore de réagir… Je luttai contre l’effraction, je serrai contre moi les lambeaux de mon extravagance, je voulus obliger M. Millot à habiter, le temps qu’il me plairait, dans la coquille vide du petit escargot nommé « presbytère »…

    - Veux-tu prendre l’habitude de fermer ta bouche quand tu ne parles pas ? A quoi penses-tu ?    

   - A rien, maman…

    … Et puis je cédai. Je fus lâche, et je composai avec ma déception. Rejetant le débris du petit escargot écrasé, je ramassai le beau mot, je remontai jusqu’à mon étroite terrasse ombragée de vieux lilas, décorée de cailloux polis et de verroteries comme le nid d’une pie voleuse, je la baptisai « presbytère », et je me fis curé sur le mur. »

Colette, La maison de Claudine.