Que font, la tortue dans sa carapace, l’ours qui hiberne dans sa tanière et la chenille dans son cocon?
Il y a des jours où le temps dérape. Dans le jardin du Vivier, Yves, assis sur un pot de fleur posé à l’envers, a pris la tortue dans sa main, puis ce philosophe en culotte courte l’a retournée et a posé la carapace entre ses deux genoux.
Il observe le ventre de corne dont ne débordent ni pattes, ni tête et ne voit rien de la bête au-dedans. Il s’interroge : elle ne se manifeste en rien, la coquille ne bouge pas, rien non plus ne bruisse à l’intérieur. Respire-t-elle au moins ? Comment y croire ? Impossible qu’il y ait une vie là, impossible aussi que la bête soit morte car il sait que quand il la reposera à terre, dans le bon sens, elle sortira la tête et les pattes et elle courra à pas menus se réfugier sous la salade.
Yves sourit à un rayon de lumière, il a compris. Voilà, c’est sûrement ça, elle a une vie intérieure. La tortue n’est pas dans cette prison, elle n’est ni morte ni là, elle ne dort pas. Elle est en vacances. Elle est un oiseau peut-être maintenant, loin au dessus de la mer, où bien parle-t-elle avec les perroquets du Jardin des Plantes ? Où bien, a-t-elle des amis poissons ? Où bien elle chasse les dragons en Écosse ? Grand-mère dit que les tortues vivent très, très longtemps, lui, il pense que, dans leur carapace, elles s’absentent comme elles veulent, sans qu’on les voie. Quand elles rentrent, le temps repart.
Le petit garçon voudrait bien faire comme les tortues.
Moi, c’est sûr, qu’est-ce que je m’embête ! Je n’ai pas de vie intérieure ! Je vais au jardin quand grand-père fait la sieste et je reste tout seul jusqu’à ce qu’il se réveille. C’est comme les ours, il paraît qu’un ours ça vit seul et qu’en plus il dort tout l’hiver, caché dans un trou noir. On dit « sauvage comme un ours ». Il ne mange pas, il ne boit pas, il ne fait pas pipi. On dit qu’il n’ouvre même pas les yeux.
C’est vrai, j’aurais pu rester dans ma chambre comme grand-père. Mais je suis sûr que l’ours aussi, il pourrait sortir s’il le voulait… Est-ce qu’il a peur de la neige ? Qu’est-ce qu’il doit s’ennuyer..., sauf que, peut-être, quand on croit qu’il dort en fait il vient jouer avec les enfants… Peut-être bien qu’il ne s’embête pas, alors,… il a une vie intérieure, lui aussi, quand tu crois qu’il dort. Il faut que je demande à mon ours : « Comment tu fais pour pas t’ennuyer quand t’es tout seul ? »
… Grand-mère dit que je sais très bien m’occuper tout seul...
Le plus fou, c’est les chenilles, grand-mère dit qu’il faut pas les toucher parce qu’autrement elles pourront pas devenir des papillons.
- Dis, grand-mère, tu comprends ça, toi ? Si t’es une chenille, t’es pas un papillon !
- Non, pas en même temps voyons, mais, quand vient l’heure, la chenille se cache dans un petit coin à l’ombre, il ne faut pas qu’on la voie et là, ça dure longtemps, c’est un temps qui est à elle toute seule. Elle fait un fil, un grand, très grand fil et elle l’enroule autour d’elle, et quand elle a fini elle est cachée à l’intérieur du cocon, personne ne peut plus la voir, c’est comme une pelote de laine sauf que ça fait une petite boule, petite comme une chenille. Personne ne sait ce qu’elle fait là dedans mais un jour elle sort, et là, ce n’est plus une chenille, c’est un beau papillon qui peut voler et qui va où il veut. Quand le papillon fera des œufs, c’est des chenilles qui naîtront et tout recommencera.
Avec la chenille, Yves a découvert que le temps qui s’arrête est à lui. Quand ce n’est pas l’heure d’aller se coucher, ni l’heure d’apprendre à écrire, ou de manger, ou de parler, ou de se promener avec grand-mère, c’est son temps à lui, pour faire ce qu’il veut, un petit temps secret dans son cœur.
Martine - Atelier d'écriture Février/Mars 2020